26 avril 2003
212 bornes, ça s’arrose !
Il n’a plu qu’une fois à Cheratte-Fleurus-Cheratte, l’autre samedi de fin d’avril :
de 7h30 à 16h30,sans interruption ...
Pas suffisant pour freiner l’ardeur des plaisanteries au sein du peloton.
« Je ne sais pas ce qui m’a pris de sortir mon vélo, même ma femme, par un temps pareil, je ne la sors pas. » commentait l’un,
tandis qu’un autre, trempé comme tout le monde de la cave au grenier, d’ajouter : « Si ça continue, j’vous l’dis, y va pleuvoir ! ».
Tout le monde au moins était d’accord sur un point : c’était, enfin, un temps excellent pour les salades.
Pas de quoi donc altérer la sympathique ambiance au sein d’un groupe de deux douzaines de cyclos qui se répétaient à l’envi,
comme pour mieux s’en convaincre, « qu’il ne fait pas froid ».
En exagérant à peine, on pourrait même affirmer que les 6 crevaisons qui émaillèrent (égayèrent ?) le
parcours furent prises avec le sourire. Faut dire que l’ami Robert Croux, grand prêtre organisateur de cette spéciale traditionnelle de printemps
de nos copains de Cheratte, avec les deux véhicules de dépannage, sa souriante épouse et un ami de chez Jacky Sport aux volants, avait mis
une nouvelle fois les petits plats dans les grands. Au point qu’ainsi encadrés les changements de roues prenaient des allures à rendre jaloux
Michael Schumacher, même si, en fin de journée, le stock de pneumatiques devait finir par se révéler à peine suffisant face
aux caprices du climat.
Les gens du CPL, nous étions huit Robert compris, un petit tiers des participants, se taillèrent ici la part du lion, avec la moitié des
dépannages, dont deux, record absolu, pour le seul Marcel Teheux.
Fleurus, trois quarts d’heure d’arrêt ! Le temps de vérifier que la collection de porte clés des sympathiques bistrotiers auxquels nous
sommes fidèles d’année en année, s’était encore accrue de quelques pièces d’anthologie du meilleur crû.
Et hop, strip-tease pour tout le monde au beau milieu du bistrot ... au profit de cuissards et autres maillots secs. Pour quelques kilomètres seulement,
assurait un indécrottable pessimiste qui allait avoir raison très vite.
A la fin de l’opération, quelqu’un s’est inquiété :
« On devrait appeler les pompiers, l’eau a vachement monté sur le carrelage, va falloir du matériel de crue ! ».
Si « taudis », si tôt fait, qu’accourut la patronne, sourire aux lèvres, raclette à la main, effaçant l’outrage du temps en un
tour de bras.
La scène pourtant a laissé des traces. Ne dit-on pas aujourd’hui à Fleurus qu’une des doyennes du coin, passant par là et
découvrant à travers la vitre du café 25 jeunes apollons cyclistes en tenues légères, a demandé, toute
émoustillée, si nous revenions bien le samedi suivant. La déception se lisait sur son visage lorsqu’elle dût se résigner à
entendre qu’il faudrait un an encore pour espérer revivre pareil spectacle. « Pourvu qu’il pleuve » dit-elle. On la comprend : pour elle,
c’est pas, comme pour nos bienheureuses compagnes, chippendale tous les jours.
A peine sortis de Fleurus, sur le chemin du retour, un alerte sexagénaire indigène (rassurez-vous, la bizarre sonorité des syllabes n’annonce pourtant pas une nouvelle histoire de cul), sur son vélo de course perché, en intrigue plus d’un dans notre groupe, qui pensent avoir déjà vu cette tête là quelque part.
« Ne seriez-vous pas Carmine Preciozi, par hasard ? »
« Tout juste «, répond l’autre, « et même pas par hasard ».
Carmine Preciozi. Mon ex-collègue, le combien sympathique et toujours bien présent en nos cœurs Théo Mathy, véritable puits de science de l’Histoire du cyclisme, a tôt fait, à la seule évocation du nom que je lui soumettais, de dérouler ses archives :
« C’était un fils d’immigrés italiens, arrivés en Belgique dans le pays de Charleroi, un peu une trajectoire à la Pino Cerami,
né comme lui dans la province d’Avelino, 20 ans plus tard. Il avait commencé dans le club de Ferdinand Bracke. Puis il a couru dans des équipes
comme Pelforth/Sauvage/Lejeune, Bianchi ou Molteni.
Un très bon coureur qui a fait deuxième au Tour de Lombardie en 64, 6ème à la Flèche Wallonne en 65, 37ème d’un
Tour d’Italie, qui a même gagné Gênes/Nice en 65, le Tour d’Emilie en 66 et le Tour de Belgique l’année d’après.
Mais c’est en 65 sur la piste du vélodrome de Rocourt, qu’il a eu rendez-vous avec la gloire : vainqueur de Liège/Bastogne/Liège,
après une chute d’Adorni due à la pluie sur la piste. Dans le peloton, il était célèbre pour sa manière
particulière de s’alimenter : il n’arrêtait pas de bouffer des noix et des noisettes. C’était l’époque où le cyclisme ne nourrissait pas
son homme à vie, bien au contraire. Après la compétition, il a fait entrepreneur en menuiserie. Il vit près de chez moi,
du côté de Sombreffe. Je l’ai vu récemment, à un ou deux kilos près, il a, à soixante ans, le poids qu’il avait au moment
de ses exploits. ».
Ce samedi là, Preciozi, ne sachant trop où aller, apprenant que nous repartions sur Cheratte en Province de Liège, proposa de nous accompagner
jusqu'à Visé et de reprendre le train pour le retour vers Namur !
Seule une xième crevaison dans notre groupe, quelques kilomètres plus tard, allait nous priver de la présence du sympathique bonhomme,
que nous n’allions jamais rattraper. Impossible de vous dire à l’heure qu’il est s’il a mis son projet Visétois à exécution ce
jour-là. Espérons simplement que s’il s’est hasardé dans la région de son ancien grand exploit, il ne lui soit pas venu à
l’esprit d’aller en revoir le lieu sur les hauteurs de Liège. Auquel cas il risque d’en être revenu comme assommé à coups de pelleteuse.
En tout cas il aura raté, dommage pour lui, aux raisins et sans noisettes, les brioches de nos sympathiques amis de chez Jacky Sport à Cheratte. Que dévorèrent, à belles dents, hein Robert, Mario Spagnoletti, Marcel Teheux, Jean-Pol Hougardy, Libo Parello, Philippe Herbillon, André Helman et André François.
André François qui, lui, vous remercie d’avoir, en plus des 212 kilomètres, parcouru aussi ces quelques lignes.
André François
Article paru dans le Braquet 22 n°177 de Juin 2003.